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Analogie Identitaire
23 avril 2017

Le rhum trace sa route

Qui, à l’aube des années 2000, aurait imaginé que le rhum puisse célébrer sa culture et sa diversité lors d’un Salon parisien, le Rhum Fest, capable d’accueillir des producteurs d’une trentaine de pays et d’attirer, pour sa quatrième édition, des milliers de personnes du 22 au 24 avril ? Il y a à peine dix ans, les amateurs français les plus pointus devaient se contenter d’une centaine de références d’eau-de-vie de canne à sucre. Aujourd’hui, il en existe plus de mille chez les cavistes ou dans les grandes surfaces. « La France est le premier marché mondial en termes de choix et de consommation haut de gamme », confirme Alexandre Vingtier, rédacteur en chef et cofondateur (avec les organisateurs du Rhum Fest, Cyrille Hugon et Anne ­Gisselbrecht) de Rumporter, le premier magazine au monde consacré au rhum et à sa culture. « A côté de la vague whisky, née dans les années 1980, il y a clairement une vague rhum depuis les années 2000 », insiste le journaliste, auteur du précieux 120 Rhums (Dunod, 2016). « S’il représente environ 10 % de part du marché [soit 50 millions de bouteilles], contre 40 % pour le whisky, le rhum est le spiritueux qui croît le plus vite, avec une progression de 5 % chaque année depuis cinq ans, et même 7 % en 2016 », explique Stéphanie Labasque, directrice marketing et commerciale des marques La Mauny et Trois Rivières, rachetées en 2012 par le groupe Chevrillon. Une croissance et une reconnaissance étonnantes pour un produit qui, il y a peu, évoquait pour beaucoup les cocktails bon marché, quelques recettes de pâtisserie, un tord-boyaux pour marins, voire le dernier verre du condamné. Bien sûr, des connaisseurs savaient que les vieux rhums pouvaient valoir les grands cognacs, grâce à quelques pionniers militants, tels l’assembleuse-embouteilleuse Chantal Comte, qui façonne depuis trente ans des rhums agricoles d’exception, ou l’Italien Luca Gargano, dénicheur de raretés, et auteur du très bel Atlas du rhum. Distilleries des Caraïbes et dégustation (Flammarion, 2014). Mais ces initiés se limitaient souvent au cercle vieillissant des amateurs de grands alcools. Les premiers signes de renouvellement ont eu pour toile de fond la guerre commerciale entre les géants Bacardi et Havana Club, quand cette dernière marque, propriété de l’Etat cubain, s’est associée avec le groupe français Pernod Ricard au début des années 1990. En surenchérissant en termes de marketing et de création de nouveaux produits, ces rois du ron (la dénomination hispanique du rhum) pour cocktail ont commencé à réveiller l’intérêt du grand public. Dans la foulée, des pays d’Amérique centrale, qui se contentaient jusqu’alors de produire des bouteilles bas de gamme, ont commencé à élaborer du ron premium à destination nationale, puis internationale. Pionnière du genre, la famille Ballesteros a ainsi développé au Venezuela une marque, ­Diplomatico, à l’origine d’une nouvelle vague, caractérisée par des saveurs douces, épicées, d’une gourmandise d’une grande accessibilité. « A la fin des années 2000, Diplomatico a impulsé la dynamique du ron du continent américain, tels Zacapa au Guatemala ou Flor de Cana au Nicaragua, et d’autres rhums de dégustation, comme Matusalem [République dominicaine] et Don Papa [Philippines], dont la dominante sucrée a attiré de nouveaux consommateurs », constate Alexandre Vingtier. La réussite de ces nouveaux produits a aussi été portée par un sens du packaging faisant honneur au pouvoir évocateur des tropiques. Après avoir servi de tremplin au whisky, le réseau des cavistes français – unique au monde avec ses 5 500 points de vente – s’est mis à relayer l’explosion de l’offre du ron hispanique, du rum des îles anglophones, du rhum des ­Antilles françaises et de multiples autres provenances, fournis par des distributeurs comme Dugas ou La Maison du whisky, aux catalogues en pleine expansion. « La France est le premier marché mondial en termes de choix et de consommation haut de gamme », constate Alexandre Vingtier, cofondateur du Salon parisien Rhum Fest On ne peut qu’être frappé par la variété infinie du seul spiritueux à être fabriqué sur tous les continents (Antarctique excepté). Selon son origine, sa matière première (mélasse ou sirop de canne pour le ron et le rum, jus de canne frais pour les rhums dits « agricoles » français), sa méthode de fermentation, de distillation, de vieillissement ou d’édulcoration, le rhum propose une renversante gamme gustative. Sans parler de la tendance des macérations d’épices (pour les « spiced », dont la star commerciale mondiale est Captain Morgan) ou de fruits (pour les « arrangés », comme ceux de la délicieuse collection des Ti Rhums de Ced’). « La culture du rhum est au moins aussi variée et riche que celle du vin », assure Alexandre Gabriel, propriétaire de la maison de cognac Pierre Ferrand et créateur de la marque Plantation, qui sélectionne des nectars par terroirs caribéens (Jamaïque, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago, Barbade…), avant de les fairevieillir une seconde fois en France dans des fûts de cognac. Régulièrement, ce Français, qui vient d’acheter une des principales distilleries de la Barbade, élabore ses rhums en collaboration avec la fine fleur des barmen internationaux. Une démarche futée quand on sait que le grand renouveau des bars à cocktails a fait de ces derniers des prescripteurs essentiels des eaux-de-vie de canne. Peu présents dans la tradition anglo-saxonne des cocktails, les rhums agricoles des Antilles françaises n’ont pas immédiatement profité de cet engouement. Ce qui a suscité de la frustration chez certains producteurs martiniquais ou guadeloupéens, contraints par des règles plus strictes (celles de l’AOC pour la Martinique ou de l’IGP pour la Guadeloupe) que celles d’une concurrence pouvant abuser, par exemple, des dosages en sucre. L’air du temps semble enfin récompenser leur quête d’excellence, qu’il s’agisse de rhums blancs, ambrés, vieux ou millésimés. « Dans un premier temps, une nouvelle génération de consommateurs a été attirée par des ron latinos faciles, avant d’essayer des rum britanniques moins sucrés, puis de découvrir la richesse aromatique et la complexité des rhums agricoles », observe le Martiniquais Jerry ­Gitany, fondateur, avec Benoît Bail, de la ­Confrérie du rhum, une page Facebook où près de 25 000 passionnés échangent sur leur alcool préféré. Preuve de l’importance des réseaux sociaux dans le monde des spiritueux, la ­Confrérie élabore régulièrement des séries limitées avec des distillateurs, comme La Mauny, avec lequel elle vient par exemple de produire 1 000 bouteilles d’une extraordinaire « Cuvée brut de fût » 2005. « On le constate dans tous les Salons internationaux et auprès des barmen, le rhum agricole a enfin le vent en poupe », assure Stéphanie ­Labasque. Ce n’est pas un hasard sans doute si, après avoir été une exclusivité francophone, la distillation façon « agricole », à base de jus de canne frais, fait des émules partout dans le monde.

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